Les contrats à impact social (CIS) naissent d’un ensemble de partenariats animés par différents acteurs dans le but de fournir un service social innovant. D’abord, des investisseurs privés engagent des fonds dans des organisations non lucratives afin qu’elles puissent réaliser leur mission social. Ensuite, l’Etat remboursera les investisseurs si et seulement si l’organisation non lucrative a rempli les objectifs de rendement qui auront été préalablement décidés.
Le partenaire public, qui peut être situé à tous les niveaux de l'État (ministère, collectivité locale), confie la mise en œuvre du programme à l'opérateur social et s'engage à rémunérer l'investisseur en cas d'accomplissement des objectifs. L'investisseur, le plus souvent une banque, un fonds d'investissement ou une fondation, finance le fonctionnement du programme et assume le risque financier en contrepartie d'un retour sur investissement si le programme atteint les objectifs fixés. L'opérateur, qui est le plus souvent une association ou une entreprise sociale, met en œuvre le programme en vue de réaliser les objectifs d'impact social définis dans le cadre du partenariat. Dans plusieurs cas, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, un intermédiaire a été sollicité pour faciliter la collaboration entre les trois partenaires. C'est une option qui peut se révéler utile lorsque ceux-ci sont peu habitués aux détails du fonctionnement des CIS.
La démarche du CIS se réalise en quatre étapes. Dans un premier temps, l'acteur public, l'opérateur social et l'investisseur définissent ensemble les caractéristiques du programme et vérifient sa compatibilité avec le dispositif CIS. Ensuite, les partenaires négocient les objectifs sociaux visés et la rémunération. Enfin, le programme se réalise sur plusieurs années, avant l’étape de l'évaluation des résultats par un tiers indépendant et du paiement par l'acteur public le cas échéant.
1) Le cas du Royaume-Uni
En 2010, au Royaume Uni, le concept des prisons de Peterborough a été lancé. Ce contrat à impact social a très vite attiré l’attention de nombreux pays, et aujourd’hui ce dispositif connaît un grand succès bien qu’il ne soit pas encore développé dans quelque pays d’Europe continentale.
Actuellement, au Royaume Uni, il y a 29 contrats à impact social en cours d’achèvement contre 16 en 2014. Deux programmes du gouvernement britannique pour l’emploi des jeunes et les Sans Domicile Fixe dominent le marché avec un taux de 65% d’utilisation. Il y a désormais une réelle concentration des services sociaux envers la population jeune. Par ailleurs, 50 autres contrats à impact social, dont 40% sont relatifs aux services destinés aux enfants, sont en train de se développer par le biais de la « Commissioning Better Outcomes Fund ». Enfin, il y a une croissance notable des contrats à impact social dans le cadre des services destinés aux femmes. En revanche, les contrats à impact social au Royaume uni sont inexistants dans trois grands domaines. Le premier vise les personnes âgées, le deuxième, les personnes souffrant d’un handicap et le dernier concerne l’emploi des adultes.
Au Royaume Uni, les contrats à impact social peuvent émerger tant du secteur public que des communautés bénévoles et entreprises sociales (Voluntary Community and Social Enterprises). Aussi, les CIS soutenus par les collectivités étatiques locales se développent de plus en plus, évitant ainsi une démarche soutenue par le gouvernement, afin de garantir une croissance plus pérenne et prospère.
Les contrats à impact social peuvent être structurés de trois manières différentes, connues sous les noms de Fonds Commun de Créances (Special Purpose Vehicle), Contrat à Impact Social direct (direct SIB) et Contrat à Impact social en réseau (networked SIB). Le premier vise principalement les contrats dirigés par le secteur public. Dans ce cas le contrat est conclu avec le fonds commun de créances et non avec le prestataire du service. Ce type de contrat engendre un transfert des risques du commissaire (commissioner) à l’investisseur. Le deuxième type de contrat, le CIS direct, vise les contrats relatifs à des services établissant des relations durables entre les acteurs. Ce type de contrat implique des investissements directs au sein des communautés bénévoles et entreprises sociales (Voluntary Community and Social Enterprises). Cette structure, par sa simplicité, permet de payer moins de couts de gouvernance, et le prestataire de services participe au partage des risques.
Le dernier type de CIS, le CIS en réseau (networked SIB), est utilisé lorsque le contrat inclut différentes activités, voir différents domaines d’activités qui doivent nécessairement être coordonné(e)s ensemble. Cette structure est adéquate pour les services qui peuvent être fournis dans toutes localités, et permet un partage des risques entre un plus grand nombre de personnes. Le contrat est conclu entre le commissaire (commissioner) et le prestataire de services en vue d’une relation durable. Comme pour le CIS direct, le prestataire de services peut supporter les risques.
2) Le cas de la Belgique
Le 23 janvier 2014, avec le support du gouvernement régional de Bruxelles, le comité de gestion de l’Office régional bruxellois de l’emploi (Actiris) a lancé le premier contrat à impact social en Belgique. Ce contrat à impact social a permis le renforcement de l’employabilité de personnes de nationalité étrangère grâce aux conseils de retraités du monde de l’entreprise. Ce programme géré par l’association « Duo for a job » est financé par une fondation privée, Kois Invest, qui a attiré d’autres investisseurs tels que la Bank Degroof Foundation. Il fera l’objet d’un remboursement par l’Office régional bruxellois de l’emploi si les 180 bénéficiaires affichent un taux d’emploi de 10% supérieur à la moyenne. Par ailleurs, les aspects légaux pour la mise en place de ce projet étaient pris en charge par le cabinet Stibbe. Le principal objectif légal était d’éviter que le CIS soit qualifié de Partenariat Public Privé (PPP). A cet effet, les experts légaux ont retenu une structure consistant à conclure trois contrats liant les trois entités : Actiris, les investisseurs privés, et « Duo for a job ». Les contrats stipulent que « Duo for a job » est chargé de rassembler les fonds initiaux et que Actiris paiera « Duo for a job » pour qu’il rembourse ses investisseurs, à condition que « Duo for a job » atteigne les objectifs définis au préalable.
3) Le cas de la France
En France, le gouvernement cherche à faciliter et encourager la mise en place du CIS. En ce sens, le gouvernement a opéré le lancement d’un appel à projets le 15 mars 2016.
Il se dégage du CIS des avantages différents pour les différents acteurs parties au contrat. Pour sa part, l’opérateur social va disposer de l'opportunité de diversification des sources de financement dans un contexte de raréfaction des fonds publics : si un financeur solidaire ou un assureur (par exemple) a intérêt à la réalisation de son activité, l'opérateur dispose avec les CIS d'un bon outil pour négocier un financement. Les CIS sont un excellent levier d'hybridation des ressources. Ils sont également particulièrement adaptés au financement de projets ponctuels d'innovation ou de croissance, qui sont d'ordinaire moins lisibles pour les pourvoyeurs de subventions ou de commandes publiques. Au contact de l'investisseur et de l'évaluateur indépendant, l'opérateur peut enfin bénéficier d'un appui managérial et d'un apport de compétences pour la gestion du programme (s'il le souhaite).
Pour l'acteur public, les CIS viennent également avantageusement compléter les leviers de financement actuellement utilisés pour les associations. Ils permettent tout d'abord de ne débloquer les fonds qu'à l'issue du programme et non avant ou pendant celui-ci. Ainsi, le risque pris par la collectivité est réduit. Les « coûts sociaux évités » constituent un troisième avantage : les montants remboursés par l'acteur public en cas de succès correspondent uniquement aux coûts du programme et à une prime calculée en fonction des économies que celui-ci a générées pour la collectivité. Avec les CIS, l'acteur public économise toujours plus qu'il ne paie. Enfin, et de façon générale, les CIS sont porteurs d'une très forte incitation à la performance qui s'inscrit dans la culture de l'efficacité que l'État souhaite développer au sein du secteur social.
Pour les investisseurs traditionnels de l'économie sociale et solidaire (ESS), banques coopératives, fondations... , les CIS ont l'avantage d'être des investissements viables, sans peser sur les ressources des opérateurs sociaux. Contrairement aux investissements actuels, ce n'est plus l'opérateur qui paie l'intérêt sur les sommes investies, mais bien l'État. Les CIS permettent donc de dégager une certaine rentabilité, sans pour autant diminuer les moyens d'action des structures financées. Par ailleurs, ils sont sensiblement plus encadrés que les investissements actuels dans les associations : les dispositifs d'évaluation et de pilotage mis en place permettent une meilleure maîtrise du risque et une meilleure visibilité sur l'action des structures financées. Constituant des produits financiers à la fois rentables et explicitement orientés vers des enjeux sociaux, les CIS ont enfin les bonnes caractéristiques pour attirer des investisseurs « classiques » vers le financement de l'ESS.
Sources :
Dalloz.fr Juris associations / Eve Durquety — Adrien Baudet — JA 2016, n°537, p.43 — 15 avril 2016
Economie.gouv
Harvard Kennedy School Establishing Social Impact Bonds in Continental Europe – Thomas Dermine – May 2014
ESELA Conference – Yvette Verleisdonk – Chris Theobald
Limites aux Contrats à Impact Social (Social Impact Bonds) en France
Dans un premier temps, il est possible de remarquer que l’accès et l’analyse des données d’impact social sont difficilement réalisables, que le dispositif SIB est relativement complexe, notamment dans la définition des périmètres d’intervention, et que le recours à des acteurs privés pour la mise en œuvre de services publics n’est pas une garantie absolue de meilleure performance.
La mesure de l’impact social généré par une activité sociale est très difficile et c'est un procédé qui connait de fortes difficultés quant à sa réalisation. De cet état de fait découle une problématique dans le choix des indicateurs. En effet, certains indicateurs sont simples et facilement mesurables mais ne reflètent pas la réalité. Aussi, cette même problématique réside dans le fait que les entreprises sociales prestataires de services soient souvent écartées du système d’évaluation de l’impact social alors qu’elles auraient justement intérêt à faire partie d’un processus de co-création d’évaluation d’impact social. La conséquence de ce schéma est que les investisseurs privés vont choisir plus facilement des projets sociaux se mesurant simplement, leurs choix sont donc biaisés car basés uniquement sur des critères de facilité de mesure d’impact, et ceci afin de déterminer plus facilement ainsi que de maximiser le rendement prévu à l’échéance. Par ailleurs les investisseurs privés se tournent en général vers le pouvoir public qui proposera le taux de rendement et les garanties de remboursement les plus avantageux. A terme, cela risque d’instaurer une concurrence entre les différents pouvoirs publics. Ces constatations laissent à penser que les investisseurs privés ne sont pas les mieux placés pour être intermédiaires entre les pouvoirs publics et les entreprises sociales.
Dans un deuxième temps, il apparait que l’outil SIB est limité à certains enjeux sociaux très précis. En effet, les prestataires de services subissent une pression importante quant à l’évaluation des actions qu’ils entreprennent, les amenant alors, dans certains cas, à préférer une stratégie consistant à sélectionner les bénéficiaires les plus susceptibles de contribuer à la réussite du programme. Par conséquent, des catégories de personnes sont laissées de côtés, et ce, pour satisfaire les investisseurs privés et les pouvoirs publics. D’autre part, ils subissent une pression différente lorsqu’ils reçoivent une somme d’argent conséquente en un versement qu’ils doivent gérer en embauchant du personnel, en le formant et en mettant en place le programme en vue d’obtenir des résultats rapidement. Enfin, si le programme mis en place ne rencontre pas le succès attendu, cela peut nuire à la réputation de l’entreprise prestataire de service qui lui fera perdre la confiance de ses parties prenantes, diminuer des donations et subsides publics, risquer leur réputation et a fortiori leur affaire.
Dans un troisième temps, la logique de retour sur investissement à moyen terme (3 à 7 ans) empêche les politiques de plus long terme. En effet, les SIB n’ont pas réellement d’impact à long terme et ne permettent pas de modifier le contexte socio-économique à l’origine des problématiques sociales.
Enfin, le fait que les investisseurs privés utilisent des méthodes à finalité de rendement pour des projets sociaux peut poser des questions d’ordre éthique d’une part et de conflit d’intérêt d’autre part. En effet, il peut paraître difficilement acceptable moralement de gagner de l’argent grâce à une problématique sociale et, d’autre part, en admettant qu’un individu est à la fois un investisseur et un politicien, il est possible d’imaginer que ce dernier renforce ou crée volontairement des problèmes sociétaux en vue d’en profiter en tant qu’investisseur.
Sources :
Groupe ICHEC social Impact Bonds (SIB) et mesure d’impact social. Virginie SMANS et Christel DUMAS
L’institut de l’entreprise. Social Impact Bonds , un nouvel outil pour le financement de l’innovation sociale. Benjamin Le Pendeven, Yoann Nico, Baptiste Gachet.
Saw B « Social impact Bonds » : win-win ou larché de dupe? Veronique Huens